Entretien

Véronique Béranger
Spécialiste du livre d'art japonais.
et
Jean-Luc Faure

VB : Quand as-tu commencé à faire des dessins ?

JLF : En 2009. Avant, je faisais plus de peintures, à tendance abstraite. Il y a 20 ans, j’ai peint beaucoup de tableau colorés, à l’huile ou à la gouache…

J’ai une facilité avec la couleur, je veux éviter la séduction. En allant vers le noir et blanc, vers le trait, je suis dans une contrainte qui m'enrichit. Je me mets des contraintes pour avancer, pour une recherche plus riche, plus forte.

VB : Pourquoi la peinture ? Y a-t-il des passages entre le dessin et la peinture ? 

JLF : Pour le format, les peintures sont plus grandes que les dessins, ça prend plus de temps, c’est plus engagé, je m'implique plus, quand j’utilise des mediums avec de l’eau.

L’aquarelle, c’est une passerelle entre le dessin et la peinture. J’aime beaucoup la fluidité de l’aquarelle et de la gouache.

J’ai fait des tentatives avec le feutre, avec l’encre, parce que ça bouscule mes méthodes. La technique bouscule tous mes schémas d'interprétation. Cela évite une répétition dans l'execution, elle serait peu créative, sans profondeur, confortable.

J’essaie de reporter mes dessins en grand à la gouache : ce n’est pas toujours facile, mais ça amène à plus de simplicité ; alors qu’avec la finesse du crayon, j’arrive vite à des dessins qui sont très enchevêtrés et peut-être pour ceux qui les regardent, très complexes.

La magie de l’instant présent.

Dans ce dessin à l'encre, il n’y pas d’attache avec le sol, les dessins sont souvent dans l’espace, sans ancrage. Faire un buste et le planter dans le sol. La connexion avec le corps est difficile à représenter. Je me sens plus attiré par les éléments air et eau que par la terre et le feu, ça se voit dans mes dessins.

Peinture bleue (ci-dessous) : Ici il y a de la plume, du pinceau, de l’encre, de la gouache. Le papier a un grain assez fort et cela m’a dérangé au début, mais finalement j'ai eu de bons retours du public.

Je rejette parfois ma création après l'avoir créé.

C’est une photo intérieure : c’est parfois dérangeant de le voir. Avec le temps je fini par l’accepter.

J’ai rajouté du blanc car je trouvais cela trop sombre, c’était austère. La couleur adoucit.

Certaines peintures sont assez sombres : je me suis rendu compte qu’elle était dure, chaotique après un voyage au Maroc, dans la lumiére du Sud.

Je fais généralement des peintures avec beaucoup de noir, et là j’ai eu envie pour une fois de mettre de la joie et de la couleur, ça a été très rapide. Parfois ça jaillit comme ci-dessous

Alors qu’habituellement pour une peinture la conception est plus longue, je vais continuer, rajouter du blanc, du noir…

VB : tes dessins font penser aux dessins automatiques…

JLF : Je commence par du dessin automatique.

Une phase où je mets des traces de crayon ou de peinture, où je laisse aller mon instinct. Puis, je fais mon interprétation du dessin. Si je laissais uniquement le dessin automatique, ce serait un peu creux, ça resterait complètement abstrait, ce ne serait que des traces sans intentions précises.

Mes anciens dessins étaient plus proches des croquis que l’on griffonne sur son bureau quand on s’ennuie. Souvent, il y a ça aussi dans mes dessins : ce sont des dessins qui viennent de l’ennui, comme s’il pouvait être une source d’inspiration.

Je n’ai pas forcément la volonté de mettre du sens.

Je ne veux pas enfermer le spectateur dans le sens que j’induis. Ou alors, je vais donner plusieurs sens qui vont se croiser.

Quand j’affiche un de mes dessins, j’y vois chaque jour des choses différentes, selon mon intériorité qui change, ou parce qu’il y a plein de possibilités dans cet imbroglio d’interprétations.

Ça bouge, c’est plus maîtrisé, toujours autour du même thème – pas vraiment le portrait, mais une tête et un buste. Je pourrais partir dans différentes directions créatives, mais j’ai cette volonté de me canaliser sur une recherche. C’est une contrainte que je m’impose. Ça se ressent peut-être dans ce que je fais. Il y a beaucoup d’artistes qui ont travaillé autour d’un seul thème, parfois plus simple que ce que je fais : les sujets ne s’épuisent pas.

Une ligne droite peut être déclinée à l’infini. Le tout est de savoir l’enrichir et la montrer chaque fois d’une manière différente. J’apprécie la calligraphie chinoise et japonaise.
Je suis touché de voir ce qu'elle dit avec une ligne, à quel point c’est poétique.


VB : Ce sont des portraits ?

JLF : Ce sont des portraits et des autoportraits, il y a un peu des deux. Je dirais plutôt des portraits intérieurs ; chaque dessin va exprimer une réalité d’un instant ou une facette de ma personnalité.

A partir du moment où je fais quelque chose qui me ressemble et qui est juste par rapport à moi, les autres peuvent se voir dedans.

Je me suis beaucoup inspiré de mon expérience d’analyse et d'art-thérapie. Cela me permet d’accéder au plus profond de moi-même. Je sens que c’est juste, que je ne suis pas en surface dans de l’apparence, du factice.

Il y a une dimension narcissique dans mon travail. C’est difficile de représenter l’autre : pourquoi pas commencer par moi, et peut-être que je saurai dessiner les autres. En me regardant moi, j’ai des repères, je peux accéder à plus de profondeur.

C’est d’ailleurs assez rare que la tête se dédouble : ça a été volontaire parfois de travailler sur la relation à l’autre, mais je ne suis pas très à l’aise dans l’exercice. Par exemple, dans des compositions où il y a plusieurs personnages avec pas forcément de liens entre eux.

Je ne suis pas très à l’aise avec la représentation du corps, c’est peut-être pour ça que je fais des bustes, des corps atrophiés, assez simplistes.

En 2009 : il y avait beaucoup de spirales, symbole d’une naissance. Je faisais des escargots, des coquilles ; je prenais un nouveau départ, c’était révélateur de cet état-là. Il y avait déjà des oiseaux, à l’état d’embryons.

L'oiseau rouge 2009

Avant je ne faisais pas de portraits, c’était plutôt des paysages abstraits.

VB : Que traduisent les peintures de maintenant ? 

JLF : J’avance, mais avec difficulté.
Les personnages sont un peu bloqués. On peut y voir des symboles.

VB : Le thème de l’oiseau, de l’œil,  une raison ?

JLF : Il n’y a pas de raison particulière, j’aime faire des oiseaux. 

Ce ne sont pas des oiseaux en vol, ils sont figés, agglomérés, il faut les chercher dans mes dessins pour les voir… Je ne suis pas sûr que ce soit toujours des oiseaux ; ça pourrait être des formes d’hommes déguisés… Ca s’impose à moi. Ils se sont invités dans mes dessins.


L’œil a pour moi beaucoup de charge symbolique.
C'est le signe de mon regard sur le monde.

DÉMARCHE

Dans un premier temps, j'applique ma peinture sous forme de masses de couleurs et de traces de matière dans un mouvement instinctif.
Puis captant l'intensité de l'instant présent, sous mon pinceau, naissent des traits qui s'enchevêtrent tels des fils imaginaires.
J'y vois des formes, des symboles que j'interprète.
Des fenêtres s'ouvrent alors sur mon monde intérieur. ( Démache suite... )


PARCOURS

• 2012 à 2018 : ABA de la ville de Paris
- Dessin, Florence Remond, Jean-François Briant
- Peinture Expression libre, Antonio Ros Blasco

Diplôme des beaux-arts de Paris
1987 à 1995 : formation aux beaux-arts de Paris avec 
Boltanski, Piotr Kowalski, Marina Abramovich, Albert Zavaro...

1985 à 1987 : Beaux-arts de Nîmes
- Peinture, Vincent Bioulès,
- Sculpture, Claude Viallat...

PRESSE

LE MYSTERE DE L'ANTHROPOCENTRISME
Fouiller, sans cesse fouiller, se questionner en plongeant dans les abysses de son subconscient pour extirper les formes de ce que la Bible a appelé la Genèse lorsque Dieu créa le monde à partir d'un chaos cataclysmique, telle a été la démarche un peu folle de Jean-Luc Faure, un artiste hanté par le mystère de la création.

Diplômé de l'Ecole des Beaux-Arts, Jean-Luc Faure a retenu les leçons de ses maîtres pour formuler une oeuvre aux accents métaphysiques et surréalistes qui invite le spectateur à une profonde réflexion sur l'homme et le sens de la vie.

Allumant sa toile de couleurs expressionnistes-abstraites explosives avec la mèche d'un pinceau conjuguant sa rage et sa passion de peindre, Faure se laisse aspirer à la manière de Joan Miro dans le labyrinthe de ses fantasmes pour exhaler les origines de l'apparition de l'homme et ce, dans des oeuvres souvent placentaires.
Adrian Darmon ArtCult

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